Chapitre 7
Terreur. Frisson. Stresse. Tremblement. Adrénaline. Nœud au ventre.
Frayeur. Désespoir. Panique. Affolement. Peur.
Le noir. Cagoule sur la tête.
Tout se mélange, impossible de choisir.
Subir, souffrir, faiblir, se noyer, se lover, fermer son esprit. Une main
plaquée violement sur la nuque. La tête penchée vers le plancher de la
limousine. Je ne résiste pas. Rapport indirect avec mes agresseurs. Juste des
indications sommaires, rapides, inaudibles. Impossible de décrire, de se
remémorer le moindre élément. Pas une seule odeur familière. Rien à quoi me
raccrocher. Le vide.
Tout se bouscule, impossible de me maintenir.
Se calmer. Réfléchir. Respirer. Prendre le temps de comprendre. Poser les
bonnes questions. Reprendre le contrôle de la situation. Ne pas se laisser
dominer. Depuis combien de temps suis-je ici ? Qui cherche à me
nuire ? Franck Demont ? Peut-être, peut-être pas. Quelqu’un
d’autre ? Surement. Si « il » souhaitait m’éliminer
alors «il » l’aurait déjà fait. Ce qui n’est pas le cas. Je suis encore en
vie. On me kidnappe. On attend donc quelque chose de ma part. Franck
Demont ? Pourquoi le faire aussi violement ? Quelqu’un de différent ?
Un nouvel arrivant ?
Tout s’immobilise, possible de s’apaiser.
Les réponses viendront après. Pour le moment une seule est valable :
je ne vais pas mourir. Enfin, pas tout de suite. Se raccrocher à ce qui me
rassure. Ma bulle. Elle. Ma muse. Je me bats depuis tellement de siècles pour
la retrouver. Qu’est-ce qu’une vie de plus dans cette incroyable toile qui
compose notre existence ? Quelques heures à rajouter au compteur, rien qui
ne soit insurmontable. La peur s’étiole, se déchire, s’efface, disparait.
Tout s’éclaire, possible de pouvoir agir.
Je maîtrise certains facteurs. J’ai une valeur. Ils ont besoin de moi. Donc
je peux négocier. Donc une porte de sortie. Mon cœur cesse de battre
à tout rompre. Mes muscles se détendent. Mes réflexions se font plus
précises, moins tumultueuses. Je ne peux pas bouger, ni toucher, ni sentir, ni
voir. Je peux encore…
Écouter.
Le moteur. Puissant, langoureux, rythmé. Froissement d’un cuir tendre. Les
sièges paraissent fermes, accrocheurs, neuf. La boite de vitesse est souple,
les mécaniques étouffées par l’habitacle. Personne de véritablement important.
Aucun son similaire à un verre ingurgité. Pas d’ouverture de mini bar. Ce n’est
pas la berline de Demont. Peut-être une voiture de location ?
Écouter.
Les voix. La première s’exprime fortement. Un style posé, trempé,
rocailleux, grave. Une autre plus en retrait, feutrée, mesurée. Une dernière
éloignée, énergique, agressive, jeune. 3 hommes ?
Ecouter.
Les mouvements du véhicule. Une longue ligne droite. Un tournant.
Ralentissement. Stop. Accélération, gauche, ligne droite, ralentissement,
arrêt. Accélération, ligne droite, tournant, tournant, ligne droite. Nous ne
sommes pas partie de la ville. Peut-être me fait-on tourner en rond pour me
désorienter.
Le véhicule s’arrête brutalement. Des mains me tirent vers l’extérieur. La
cagoule est solidement vissée sur ma tête. Toujours ce noir oppressant. Je suis
poussé vers l’avant sans ménagement. Une deuxième paire de mains m’agrippe avec
force. Je marche rapidement. Je prends les escaliers. Je compte machinalement.
Différence de gris dans le noir qui m’entoure. Je passe une salle, puis une
deuxième. J’avance un peu, on m’assoie dans un fauteuil. Lumière ! La
rétine pique, brûle. Des formes se profilent, ombres noires
désordonnées. Une claque fuse. Une deuxième en
aller-retour. Douleur intense et vive, embrasée. Peur intense, animale.
_T’as une minute pour reprendre tes
esprits le génie.
La voix rocailleuse. Le dominateur. Mes yeux s’acclimatent
enfin. L’homme est assez large, style classique, veste taillée, pantalon sérré,
cheveux gominés, rasé au millimètre, visage quelque peu lacéré. Sur
sa droite, le plus jeune. Il me regarde fièrement, inquisiteur. Je sens le
manipulateur, prêt à saisir la moindre occasion pour se défouler. Sur la gauche
un type assez maigre, taille moyenne. Visage coupé à la serpe, pommettes
saillantes. La voix rocailleuse me saisit le menton. Plaque son visage contre
le mien. Parfum musqué, regard d’un type qui a passé plus de temps à tabasser
des têtes qu’à jouer aux cartes avec.
_Tu fais ce que je te dis, tu ne poses pas
de questions et dans moins d’une demi-heure tu es dehors.
_Compris.
Je ne cherche absolument pas l’affrontement. Nouvelle information. Je ne
vais pas mourir. Obtempérer bien sagement, la clé de ma libération. J’ai déjà
mon idée sur ce que l’on attend de moi. Tout se répète. Chaque vie se
ressemble. C’est un même mouvement d’infini. Une malédiction que ce don.
_La cible se trouve au 10eme rang, les
sièges du milieu, le 3eme en partant de la gauche. Le film se finit dans 10
minutes. Tu te mêles à la foule et tu prends la carte karmique de la cible. Mes
hommes seront à tes côtés. Tu bouges et t’es dans la merde. Tu fais ton job et
tout le monde est heureux. C’est bon pour
toi ?
_Tout est parfaitement clair.
Le middle classe me sert un verre d’eau. Aucune expression. Sont-ils
envoyés par Demont ? Est-ce sa manière à lui de s’y prendre ? Mon
instinct me dit le contraire, la raison l’inverse de ma première impression.
Peu de personne sont au courant de ma particularité. L’homme de main de
Demont ? Je bois lentement le liquide. J’essaye de faire le tri. Deux
options se dessinent. Mieux vaut pour moi que ce soit Demont. J’en doute fortement.
Quelque chose ne fonctionne pas. La forme n’est pas la même. Je m’attendais à
autre chose. Il sait que j’ai besoin de lui. C’est un autre commanditaire. Mais
qui… ?
_Il se magne d’enfiler son verre le
magicien ! C’est qu’il doit nous épater, souligne le plus jeune dans un
faux rictus qui se voudrait sourire de coin. Il me fixe comme un chasseur fier
d’avoir traqué un gros gibier pendant des heures. Une gloire bien ridicule. Une
proie sans défense. Une prise pathétique.
Les deux hommes m’escortent. Nous descendons un escalier, puis un autre. Un
accès sur la droite. Un couloir assez réduit, suivi d’un sas et d’une double
porte battante. Stop. Le plus âgé vérifie le timing. Le plus jeune s’engouffre
dans le sas, en revient et m’invite à venir visualiser la cible. Je pénètre à
mon tour. L’éclairage d’ambiance est allumé dans la salle. Je pose mon regard
sur les sièges. Le centre. Je compte 10. Je file tout de suite à gauche.
Le 3ème. Un type assez grand, allure de cadre moyen. Sans
âge. Rien d’exceptionnel. Et pourtant. Il possède des secrets, des failles
qu’un autre type souhaite visiblement s’approprier. Les époques se
renouvellent, les hommes restent les même. Rien ne changera. J’ai réalisé cette
mascarade pour tellement de puissants. S’ils savaient…
J’exècre ce que l’on me demande de faire. On me pousse à violer les âmes.
Je ne veux plus de cette malédiction. Juste pouvoir la retrouver et vivre enfin
avec elle. Ma muse me manque terriblement. J’ai besoin d’elle. Je suis fatigué
de lutter contre ses hommes.
La foule s’est levée. Elle défile le long des sièges, sur le devant de la
scène. Mes deux anges gardiens me projettent dans l’arène. Je ne quitte pas
l’homme du regard. Il descend à son tour. J’accélère le mouvement. Je ne suis
qu’à quelques mètres. Je détourne la tête. Ne pas éveiller sa curiosité. Je
connais par cœur les mouvements de ce duel particulier. Les deux autres me
suivent, presque collés. Ils ne me quittent pas des yeux. Je me place derrière
la cible. J’attends le bon moment, le ralentissement provoqué par la sortie. Je
me place à côté de la cible légèrement en retrait. Je détermine le membre qui
fera le lien. Sa main. Nous arrivons au rétrécissement. La foule se compacte
comme un accordéon. L’homme est à son tour happée par l’ouverture. Je fais mine
de vouloir le doubler. Les mains de frôlent, je le frappe sèchement.
Une seconde.
Ses vies défilent comme toutes les autres. Douleur, joie, tristesse,
violence, jouissance. Ses dernières existences ne sont qu’un mouvement
perpétuel. Il répète constamment les mêmes problématiques. Rien de très
emballant, un homme tout simplement.
_désolé, je me suis précipité.
Contact coupé.
Une excuse, ma meilleure technique pour sectionner le lien qui nous uni.
Trancher net ma communication. Toujours.
_Ah ! Faites attention tout de même
me répond la cible ci en s’éloignant.
Elle est encore sous le choc de ce singulier échange. Je peux
comprendre son état. Une décharge électrique où défile la conscience de
dizaines d’existences, pas facile.
Je m’arrête. Mes suiveurs font de même. Je laisse circuler la foule. Elle
se dilue lentement. Nous revenons sur nos pas. Le sas, le couloir, les
escaliers, l’homme à la voix rocailleuse.
_Le résumé de sa carte ?
Je ne m’attendais pas à une demande aussi directe. Plutôt à être mis en
ligne avec son patron. J’hésite un peu. Ne pas poser de questions. Plus vite
c’est fini, plus vite je suis dehors.
_Une vie comme toutes les autres. Tendance
à la paranoïa. 3 vies successives passées à être volé, dupé, trahis. Il ne fait
confiance à personne. Certainement d’autoritaire. Il a vécu l’une de
ses vies comme souffre-douleur. Il est incapable pour le moment de
l’accepter. Je dirais qu’il commande et ne se laisse jamais dicter
des ordres. Un homme dur. Problème au niveau des poumons, peut-être du mal à
respirer. Il est mort noyer il n’y a pas si longtemps. Il aime manger aussi. La
faim s’est retrouvée au centre de plusieurs existences. Compensation d’une
affection réduite voire inexistante. Gros mental, trop de confiance en lui.
Point faible concernant sa peur de l’eau. Il corrige quelque peu son chemin
actuellement. Il tourne en rond sans accepter certaines vérités.
Le silence. Mes trois ravisseurs me regardent. Curiosité, stupéfaction,
impossible de savoir ce qu’ils pensent. Les secondes défilent très lentement.
La porte opposée s’ouvre alors sur… ma cible !
L’homme s’avance tout sourire et parle tranquillement avec les trois
autres. Il écarte légèrement le revers de sa veste, en ressort un
micro-cravate. Je ne comprends absolument rien. Le sol se
dérobe. Mon unique chance de sortie explose. Le plus jeune se saisit
d’un téléphone, obtient le contact, puis le tend au nouveau venu. Je suis trop
éloigné, je n’entends rien. Tout se bouscule. La peur refait surface, vieille
amie qui me tuera tôt ou tard. Le visage de ma cible se durcit, laisse place à
un homme de pouvoir. C’est lui le responsable. Il parle encore
quelques instants, écoute son interlocuteur religieusement. Il se dirige enfin
vers moi. Une allure absolument différente de celle entrevue dans la
salle. Hautain, sûr de lui, vampirique. Je suis terrifié.
_Je me présente, Hervé Brunstein. Je dois
avouer que je n’y croyais absolument pas à votre heu… votre truc. Mais force
est de reconnaître, je suis totalement bluffé.
L’homme me présente à son tour le portable.
Enfin mes réponses… ou pas.
_Franck Demont. J’espère que ma petite
mise en scène en compagnie de mon secrétaire particulier vous a
impressionné ?
Demont. Nouveau duel. Reprendre le contrôle, ne rien laisser paraître Je
coupe mes émotions, j’enfoui ma peur là où je peux, comme je peux, si je peux.
_Je n’attendais pas moins venant de vous.
_Vous comprendrez j’espère mon besoin
d’obtenir une certaine garantie. Comme une mise à l’épreuve si vous préférez.
Il y’a trop d’enjeux dans ce que je souhaite vous demandez. Je ne pouvais me
permettre le moindre doute.
_Ce n’était pas déjà le cas la dernière
fois ?
_Vous possédez ce que personne n’a jamais
imaginé et vous me l’offrez avec une contrepartie ridicule. Vous possédez une
carte dans votre jeu que je ne maîtrise pas : votre loyauté. Ce que vous
représentez est inestimable comme parfaitement remplaçable. Ces informations,
je pourrais les obtenir. Mais ce serait avec énormément de moyens et d’énergie
pour y parvenir. Je n’ai absolument pas de temps à perdre.
Demont marque une pause, place son fameux silence, puis reprend sur un ton
plus glacial, sans aucune faiblesse. Violence.
_Je n’apprécie guère d’être doublé, ni
d’être pris pour un con. Rappelle-toi bien comment tu t’es pissé dessus il y’a
quelques minutes. Grave ce moment dans ta tête de merdeux prétentieux. A la
moindre connerie de ta part, je te défonce comme une minable merde qu’on évacue
proprement. Tu pourras dire adieu à ton « super plan ». J’ai cru
comprendre que tu ne manqueras à personne. Enfin juste à une seule…
Nouvelle pause.
_Me suis-je bien fais comprendre.
_Je pense que nous nous comprenons oui.
Silence. Demont se radoucit.
_Bien. Dans ce cas, je vous donne
rendez-vous au vernissage de l’exposition Turner au grand palais ce
vendredi. 20h. Ne soyez pas en retard, votre véritable cible n’est absolument
ce que vous pensez.
Communication finie. Je relève la tête. L’univers ralenti, s’ouvre sur
l’impossible. Je suis totalement sous le choc. Incrédule. Demont.
Comment ? Comment peut-il être au courant de mon plan !
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